#15 L'injonction à la maternité (avec Je ne veux pas d'enfant)
Depuis des siècles, la femme est reléguée au rang de génitrice. Pourtant, faire des enfants n’est pas une évidence pour toutes les femmes ou personnes pouvant enfanter.
Depuis des siècles, la femme est reléguée au rang de génitrice. Procréer et s’occuper de sa descendance, c’est tout ce qu’elle serait capable de faire1. Pourtant, faire des enfants n’est pas une évidence pour toutes les femmes ou personnes pouvant enfanter. Depuis de nombreuses années, le mouvement “Childfree”, en Français “Sans enfant”, revendique ce droit de choisir d’être mère ou non.
Bettina Zourli, l’autrice du livre “Childfree, je ne veux pas d’enfant” et créatrice de contenu féministe sur le compte Instagram éponyme, nous explique aujourd’hui ce qu’est être Childfree et comment les injonctions à la maternité s’inscrivent dans notre société et impactent les femmes.
Le mouvement Childfree
Une personne childfree est une personne ayant fait le choix de ne pas avoir d'enfant, en accord avec un désir de ne pas être parent. Le terme “childfree”, qui a été créé en 1972 aux USA, s'oppose au mot "childless", qui veut dire sans enfant, mais qui n'incluait pas la notion de choix. La majorité des personnes childfree le vit comme un désir personnel, qui n'a aucune revendication politique, il s'agit simplement d'un désir interne, au même titre que celui de vouloir des enfants. Dans mon cas, c’est naturel pour moi de ne pas désirer d’enfant, mais c’est aussi un choix politique, si un jour je devais changer d'avis, je ne serai quand même pas mère, simplement parce que je refuse le modèle parental actuel, qui exacerbe les inégalités entre les genres (je suis une femme hétérosexuelle), qui précarise les femmes et qui les enferme dans une responsabilité à vie, responsabilité que n'ont pas les pères au même degré.
Les ventres des femmes et personnes perçues comme telles est un enjeu politique, social, économique, guerrier, même, et à ce titre, ne pas procréer peut être une revendication. Faire des enfants n’est alors plus vraiment un enjeu individuel, mais bien sociétal, économique et politique : un pays acquiert sa puissance aussi grâce au nombre d'habitants qu'il abrite ! Faire des enfants, c'est faire de la chair à travail et de la chair à canon, pour reprendre les propos des marxistes qui critiquent le système de production du capitalisme.
La pression et la course à la maternité
L’été dernier, on découvrait via une étude que 13% des Français·e·s regrettent d'avoir un enfant2 ... Vouloir des enfants n’est donc pas une évidence. Et lorsqu’une femme ose en parler, en général, elle s’entend dire qu’elle est "égoïste" ou encore qu’elle va "forcément le regretter" mais aussi, on s’inquiète de savoir si elle n’a "pas peur de vieillir seule". Autant de phrases qui renvoient à une idée fausse qu'on se fait de la vie en communauté (on est tous.tes interconnecté·e·s, que j'ai des enfants ou non, je participe à la vie commune !) mais aussi à des frustrations personnelles des gens qui nous envoient ces phrases en pleine face. Ils essaient de se rassurer et de justifier leur choix, alors qu’en réalité et par exemple, il suffit de se rendre en Ehpad pour voir qu’avoir des enfants ne protège pas de la solitude.
Une femme qui contrôle son utérus est une femme qui fait peur …
C'est par là, par l'utérus, que les hommes ont réussi à justifier la domination sur les corps dits féminins.
L'anthropologue Françoise Héritier, qui a dédié sa carrière à travailler sur les sources de la domination masculine, explique que lorsqu'on a commencé à comprendre comment on faisait des enfants (ère du Néolithique selon certain·es historien·nes), on est passé de la phase "on vénère les femmes, elles sont magiques à pouvoir procréer" à "ah ouais mais en fait c'est la semence masculine qui remplit le trou féminin et qui crée des enfants" !
Mais un problème subsistait : si on est sûr·e que c'est bien l'enfant de sa mère, comment être sûr·e que le père est bien le père de l'enfant ?
De là serait née la privation de la liberté des femmes, qui, après avoir grandi sous l'autorité paternelle, passaient sous l'autorité conjugale. On a dénigré les femmes (en les disant moins intelligentes, pas capables de participer à la vie politique, ...) jusqu'à ce qu'elles pensent naturellement être inférieures. Jusqu'au siècle dernier, on n'avait pas le droit de voter, d'avoir un compte en banque, etc ... sans l'approbation de notre mari. Et pour ce qui est de la liberté à disposer de nos corps, celle-ci est constamment remise en question. Un besoin encore présent de gérer nos corps, notre capacité à procréer, qui subsiste depuis des siècles et des siècles.
Les entraves à l’IVG et à la stérilisation volontaire
Les entraves à l’IVG est peut-être l’un des exemples les plus parlant des dérives de l’injonction à la grossesse. Comme le fait de considérer qu'il y aurait un âge "ok" pour avorter, mais qu'une femme de 30 ans, en couple et avec un job, va potentiellement se faire culpabiliser par le corps médical car son désir d'IVG ne serait pas "justifié". De manière générale, les entraves à l'IVG, même dans les pays où c'est légal montrent bien qu'on refuse leur droit de choisir pour elles-mêmes aux personnes concernées.
En France, la stérilisation est légale depuis 2001 et pourtant, il est difficile d'avoir accès à cette opération car la plupart des médecins ont un discours très paternaliste sur le sujet (je conseille le groupe Facebook Stérilisation volontaire qui recense les praticien.ne.s), ce qui est une conséquence directe de l'injonction à la maternité et de la croyance selon laquelle toutes les personnes ayant un utérus auraient envie de procréer.
Pourquoi on ne veut pas d’enfant ?
La raison principale, c'est qu'il n'y a pas de raison : personnellement, ça a d'abord été un ressenti interne, viscéral, je dirai même naturel. J'ai toujours désiré ne pas avoir d'enfant, ça ne m'a jamais traversé l'esprit d’en vouloir.
Comme on nous demande souvent pourquoi, on a l'occasion de s'interroger et de construire un argumentaire : ça peut être pour des questions de santé mentale, par peur de reproduire un schéma familial, par anxiété concernant notre société et son effondrement, par féminisme, pour des raisons financières, par tocophobie (peur de la grossesse et l'accouchement). Les raisons sont variées mais quoiqu’il arrive, légitimes !
👉 Retrouvez Bettina Zourli sur son compte Instagram Je ne veux pas d’enfant.
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