#9 Seins et censure : Topless aux Etats-Unis, on m'a demandé de me rhabiller ...
Il y a quelques années, j’étais en voyage aux Etats-Unis, à San Francisco. Si j’ai choisi cette destination, c’était pour une raison particulière : j’avais envie de découvrir cette ville dont l’état d’esprit me semblait en accord avec mes valeurs féministes (j’avais binge-watché Tales in the city quelques mois auparavant).
Je savais que le topless aux Etats-Unis était mal vu. Mais ce qu’on disait de “Frisco” m’avait laissé sous-entendre que ce ne serait pas un problème dans cette ville en particulier. Pour autant, je n’ai pas pratiqué le topless comme j’avais l’habitude de le faire en France ou en Espagne, où je n’emporte même pas de haut de maillot avec moi. Aux States, lorsque j’étais sur mon transat, j’étais topless, mais lorsque j’allais faire 2 ou 3 longueurs dans la piscine, je remettais mon haut de maillot. Je n’ai pas eu de problème tout de suite, j’imagine que la plupart des client·e·s de l’hôtel étaient étrangers. Mais lorsque j’ai eu affaire à une américaine, ça s’est corsé. Je me fiche du regard des autres, je n’y prête pas attention. Alors pour que je remarque que l’on me fusille du regard, c’est qu’il faut y aller. Et effectivement, il y avait cette femme avec sa petite fille, qui semblait très énervée à mon égard. Je n’ai pas compris tout de suite, et puis elle a disparu … Et une femme de la réception de l’hôtel est arrivée paniquée. A ce moment précis, j’étais assise au bord de la piscine, avec mon haut de maillot. Elle est venue me voir en me demandant si c’était moi qui étais topless et en insistant “vous ne pouvez pas être topless, il faut absolument que vous portiez un haut, vraiment, portez un haut de maillot”. J’ai simplement répondu ok. Mon anglais de l’époque ne me permettait pas d’argumenter et dans tous les cas, je pense que même si ça avait été le cas, je n’aurais pas su quoi dire, j’étais un peu sonnée. Et puis ma délatrice est revenue. Et avec sa fille, elles m’ont jeté des regards très mauvais pendant tout le temps où elles sont restées. J’ai joué à la con, de loin, en faisant mine de retirer mon haut de maillot et puis finalement pas et de faire de grands gestes “oulala, qu’est-ce que c’est grave”. J’ai vérifié partout, il n’était indiqué nul part que je n’avais pas le droit de pratiquer le topless. Je n’étais pas en faute.
Au moment où “on m’a demandé de me rhabiller”, j’étais en l’occurence habillée, je pense que le sentiment aurait été bien différent si j’avais été seins nus à ce moment là. Je me suis tout de même sentie humiliée. Et aujourd’hui, 3 ans plus tard, cette expérience a changé mon rapport au topless.
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Aujourd’hui, je ne le pratique plus comme avant. En fonction du pays dans lequel je suis (j’évite en Italie, au nord du Portugal …), mais aussi en fonction des gens avec qui je suis. Je demande la permission à mes copines (quand je sais que ça pourrait les déranger) si leur mec est là. Je ne le fais pas si je suis avec un groupe d’hommes et que je suis la seule fille. Et pourtant, je suis la meuf qui a écrit tout un livre sur le comment du pourquoi il faut arrêter d’hypersexualiser la poitrine1. Avant je l’aurais pratiqué n’importe où et en toutes circonstances … Aujourd’hui c’est différent et je n’arrive plus à changer ce regard que je porte sur ma poitrine seins nus. Pour le No Bra, il n’y a pas de problème, je ne me pose jamais la question (de toute façon je n’ai plus aucun soutien-gorge). Mais pour le topless, c’est complètement différent. Alors que c’est probablement le topless qui m’a le plus libérée de cette hypersexualisation de la poitrine quand j’ai commencé en 2016 dans le sud du Portugal, à Lagos.
En 2017, j’écrivais (oui, je m’auto-cite) :
Je veux sortir de cette sexualisation à outrance de la poitrine pour enfin l’accepter telle qu’elle est. Plutôt que de me plier à ce que la société attend de moi, je préfère ne plus en dépendre et être simplement ce que je suis. J’ai essayé pendant des années d’être comme on attendait que je sois, au final, j’ai toujours été malheureuse vis-à-vis de ça et ça ne m’intéresse plus. Je commence à me détacher tout doucement du jugement des autres et ça me fait le plus grand bien. Si “les autres” ont du temps et de la salive à perdre sur mon apparence, c’est leur problème à eux mais ce n’est clairement plus le mien.
Et je le pense toujours. J’ai juste un peu plus de mal à l’appliquer aujourd’hui. En fait c’est comme pour tout, et le topless n’y fait pas exception, il y a la théorie et la pratique.
Parce que oui, en théorie, je ne pense pas que mes seins soient vulgaires. Dans la pratique, ils le sont encore aux yeux de certaines personnes et elles m’importunent pour cette raison. Et parfois, certains événements sont plus marquants que d’autres et ont un impact sur notre pratique.
Téton et hypocrisie
Les Américains sont les champions en termes d’hypocrisie. Il n’y a qu’à voir le sort qui a été réservé à Janet Jackson en 2004 lors de la finale du SuperBowl quand on a vu apparaître un de ses tétons en direct à la télévision par accident. Vous avez beaucoup entendu parler de Janet Jackson depuis 2004 ? Moi pas vraiment. Pourtant ça ne les dérange pas de montrer des pin-ups et autres bimbos PlayBoy (et je n’ai rien contre ça) en permanence. Une femme on la sexualise, mais pas n’importe comment, il y a des règles. Si les américains sont gratinés, ne vous inquiétez pas, en France on n’est pas mal non plus. Comme avec Anne-Claire Coudray, cette présentatrice du JT de TF1 a eu l’audace de porter une robe en cuir moulante dans laquelle on pouvait apercevoir la forme de ses tétons. La toile s’est emballée et elle a par la suite présenté des excuses alors qu’un journaliste l’interrogeait sur cet “incident”2. La chanteuse Isïa Marie a vu le clip de son titre “Dans les yeux” privé de promotion par Google Ads parce que jugé “à caractère sexuel explicite”, alors qu’on y voit simplement défiler des femmes habillées, mais sans soutien-gorge. Ou alors avec des brassières de sport. On devine leurs tétons qui pointent à travers leurs vêtements. Isïa m’a expliqué que ce clip, c’était un concept, et que le but était de dénoncer la sexualisation de la poitrine en montrant des tétons pendant 3 minutes, ce qui peut choquer au début est banalisé en quelques minutes à peine. Mais tout ça, Google s’en fiche. L’artiste et son équipe se sont battu·e·s pour faire lever la censure, en vain.
Comment ne pas être en colère devant tant d’injustice ? Mon livre “No Bra, ce que ma poitrine dit de moi” est lui aussi privé de visibilité sur Instagram, parce qu’on sexualise tellement la poitrine que le terme même “No Bra” est prohibé sur le réseau social. Parce que c’est bien ça le problème dans tout ça, on sexualise la poitrine des femmes et donc on la censure. Mais on ne remet pas en question le fait qu’on l’hypersexualise sans raison. En fait il faut la voir, mais sous certaines conditions. Et ces conditions sont complètement absurdes, contradictoires et aliénantes. On la censure, et on nous fait comprendre qu’elle est mal vue, qu’elle est vulgaire, alors on nourrit des complexes et on ne se sent pas à notre place. On n’ose pas la montrer. Alors qu’en réalité, il n’y a rien de mal à la voir. Il n’y a rien de choquant dans une paire de miches. Cela devrait être un choix personnel de la montrer ou non, il ne devrait en aucun cas être dicté par notre société, et encore moins censuré.
No Bra, ce que ma poitrine dit de moi paru aux Editions Flammarion.
Si vous souhaitez en savoir plus, je reviens plus longuement sur ces événements dans mon livre No Bra.