Il y a quelques jours j’ai vu passer des messages sur Insta chez mes compatriotes Bisontin·e·s1 qui m’ont glacé le sang : dans ma ville natale, des filles ont été droguées au GHB le week-end dernier. Encore. C’est pas la première fois, et malheureusement, ce sera pas la dernière.
Des histoires de drogue dans les verres, j’en entends depuis toujours. Dans un bar/boîte Bisontin, on peut trouver ces affiches collées un peu partout sur les murs “faites attention à votre verre, des petits malins s’amusent à y glisser du GHB”, des rumeurs ont couru pendant un temps sur un barman qui droguait ses clients … Bref, la drogue, c’est presque devenu routinier.
Fais attention à ton verre
Depuis que je suis en âge de sortir, la préoccupation première de ma grand-mère était qu’on me drogue à mon insu (plutôt qu’on ne me drogue pas à mon insu, mais enfin vous m’avez comprise). Elle m’a toujours répété de faire attention à mon verre. Je ne l’ai jamais vraiment prise au sérieux, “oui oui mamie, je fais attention …”, je dois bien l’admettre, j’ai toujours pensé que ce genre de chose, ça n’arrivait qu’aux autres. C’est pas ce qu’on se dit toujours ? Que ça n’arrive qu’aux autres ?
Ma mamie avait raison. J’avais tort. Ça n’arrive pas qu’aux autres. On m’a droguée. C’était il y a 7/8 ans, j’ai croisé des connaissances en boîte, elles étaient toutes fières parce qu’un mec leur payait des verres. Moi j’avais déjà un peu bu, pas tant que ça. Elles m’ont tendu une coupe de champagne. Un verre gratos, de champagne de surcroît, ça se refuse pas.
La suite est très floue, ce que je sais c’est que j’ai eu beaucoup de chance dans ma malchance. J’étais avec mon ex, il a pu me ramener chez nous, en me portant à moitié. Je ne pouvais plus parler, plus bouger. J’ai eu un gros black-out, j’ai seulement des flashs. Des flashs dans lesquels je me vois en mode loque qui n’arrive plus à lever un bras. J’ai pleuré pendant des heures (j’ai d’ordinaire l’alcool super jovial), moi j’ai l’impression que ça a duré 5 minutes. Et le lendemain, la pire gueule de bois de ma vie alors que je n’étais pas censée avoir bu plus que ça.
Je suis de la team je connais ma limite et même si je suis capable d’être bien bourrée, je sais toujours m’arrêter au moment où je perds le contrôle. Bref, je me connais parfaitement. Donc je sais que j’ai été droguée, les effets étaient beaucoup trop évidents. En en discutant le lendemain avec mes potes, j’ai réalisé que personne n’avait rien remarqué, ils pensaient seulement que je faisais la gueule. Non, moi j’étais au bout de ma vie. On était jeunes et mal informés mais je ne peux m’empêcher de me demander, si à ce moment-là, si mon ex n’avait pas été là, si j’avais été la cible visée, qu’est-ce qui se serait passé ? La réponse je la connais, et je crois que je préfère ne pas trop y penser.
Comme je vous le disais, je me connais parfaitement. Mais c’est loin d’être le cas de tout le monde. Personne autour de moi n’a remarqué que j’étais droguée (sauf mon ex, mais il a tout de même mis du temps à comprendre ce qui se passait). Alors ça aurait pu passer comme une lettre à la poste : une grosse cuite, un peu plus chargée que d’habitude, ça arrive. Alors je me le demande, combien de femmes ont été droguées sans même s’en rendre compte ?
J’ai eu beaucoup de chance, encore une fois. Aujourd’hui je fais très attention, mais (malheureusement ?) pas toujours. Il y a des moments où je lâche. Parce que je ne peux pas être en permanence aux aguets. C’est impossible. C’est insupportable. J’en ai marre d’être une putain de proie. J’en ai marre de ces prédateurs tellement lâches, de ces crevards d’agresseurs qui nous pourrissent la vie.
Sortir, une charge mentale de plus pour les femmes ?
On n’est pas égaux, les hommes (cis/het) et les femmes, en soirée. Un homme peut faire tout ce qu’il veut. Il n’aura jamais la même charge mentale qu’une femme quand elle met un pied dehors. Il n’aura jamais peur comme une femme quand elle sort.
Je veux la même chose.
Parce qu’en fait, la charge mentale pour les femmes, elle commence bien avant la soirée. Quand on te propose un plan, la première question que tu te poses c’est : comment je rentre chez moi ? Tenez ce soir par exemple, je suis invitée à une soirée, mais le quartier dans lequel je loge en ce moment à Barcelone (El Raval … Oui je sais, mais j’avais pas le choix) craint un max, la rue dans laquelle je suis est vraiment flippante. Donc j’hésite à sortir. Moi. Alors que je ne loupe jamais une occasion de faire la fête. Mais là j’ai peur. Parce que ma coloc n’est pas là et que je vais devoir rentrer toute seule.
Et ça me gave. Je suis tout le temps obligée de faire attention à tout. Comment je rentre, comment je m’habille, faire attention à mon verre, faire gaffe à ce que je dis quand je parle de mon métier (quand je dis que j’écris un livre sur le No Bra ça peut être très mal interprété2) …
C’est épuisant. Mais si vous pensiez que c’était terminé … Vous vous mettez le doigt dans l’oeil mes bonnes dames !
Quand les agresseurs passent à la vitesse supérieure …
Ce que j’ai découvert il y a quelques jours m’a achevée. Je pensais pas que c’était possible. Sur mon média Sorcière ta mère, j’ai à peu près tout lu, tout entendu (et c’est dur, croyez-moi). Mais là c’est la goutte d’eau. La cerise sur le gâteau. Le pompon sur la Garonne. Ça me fout les nerfs, si vous saviez. Parce que si notre marge de manœuvre est limitée sur les verres, on a encore l’impression qu’on peut à peu près contrôler quelque chose. Mais les agresseurs sont passés à la vitesse supérieure. C’est comme s’ils avaient toujours 3 coups d’avance sur nous. Désormais, on ne verse plus de GHB dans les verres de ses victimes, non, maintenant, on drogue les femmes par injection3. Cette technique est déjà bien installée et répandue au Royaume-Uni4 et des rumeurs courent sur de potentielles agressions du même acabit à Lausanne5. Moi je l’apprends. Je découvre ça et je me dis que quand tu crois que ta pire peur c’est qu’on te drogue, qu’on te viole et j’en passe … Ce qui est déjà d’une ignominie sans nom. Ce qui est déjà épuisant, éreintant, harassant. En fait tu réalises qu’à tout ça, tu dois y ajouter un risque de plus de choper des MST6. Parce que j’imagine que ces sales crevards ne vont pas prendre la peine de changer les aiguilles entre chaque meufs qu’ils piquent n’est-ce pas ? J’imagine, permettez moi de les juger sans les connaître, que leur conscience et leur sens de la morale sont ultra limités.
Je ne m’attarderai pas sur le profil de ces immondes personnages, ces rebuts du patriarcat. J’ai envie qu’on parle de nous. Les victimes. Parce que c’est ce qu’on est. On ne peut pas faire la fête tranquillement, s’amuser, danser, profiter, comme on l’aimerait. On doit toujours être sur le qui-vive. Je n’aime pas perdre le contrôle quand j’ai bu. Parce que je sais ce que je risque quand c’est le cas. Je sais faire bonne figure même si je suis éclatée. Parce que je sais qu’il ne faudra pas laisser transparaître le moindre signe de faiblesse dans la rue. C’est pas inné, c’est quelque chose que j’ai travaillé, plus ou moins consciemment. Parce que je risque gros, à chaque fois que je sors.
J’en ai marre de devoir faire attention aux vêtements que je porte, surtout si je rentre seule.
J’en ai marre de devoir envoyer des messages à mes potes quand je rentre.
D’attendre les leurs, toujours inquiète.
J’en ai marre de devoir raser les murs, faire le moins de bruit possible, presser le pas, me faire toute petite, mettre mes écouteurs sans pouvoir écouter de musique.
J’en ai marre de devoir surveiller mon verre, ne pas pouvoir le boire si pendant un quart de seconde j’ai osé le lâcher du regard.
J’en ai plus que marre de tout ça.
Parce que je ne suis pas la seule à en avoir marre, parce qu’on est nombreuses, à ne plus en pouvoir, un appel à boycott des clubs et des bars7 a été lancé par le collectif féministe Sous-entendu·e·s, vendredi dernier, 12 novembre à Bruxelles, pour dénoncer ces pratiques criminelles et surtout, la mise en place de mesures beaucoup trop “légères” comme des capuchons sur les verres. Au Royaume-Uni, la même manifestation a eu lieu le 27 octobre 2021 initié par le mouvement “Girls Night In”8.
J’ai l’impression de me répéter mais bordel, il est temps que ça change. Il est temps qu’on éduque les garçons à ne pas droguer les filles. Ne pas les agresser. Ne pas les violer. Il est temps qu’on change les choses pour qu’on puisse s’amuser sans toujours avoir cette peur latente et chevillée au corps.
Est-ce qu’on peut, s’il vous plait, s’amuser sans craindre le pire ?
Les habitants de Besançon.
J’en parlerai dans une prochaine newsletter, je vous tease un peu !
Il s’agirait de somnifères type Rohypnol (difficile de trouver des infos à ce sujet, le Rohypnol ayant été retiré du marché en 2013, cette information est à prendre avec des pincettes car difficile à vérifier).
https://www.leprogres.fr/faits-divers-justice/2021/10/23/apres-le-ghb-les-piqures-des-etudiantes-affirment-avoir-ete-droguees-a-leur-insu-en-boite-de-nuit
https://www.rts.ch/info/regions/vaud/12612563-le-doute-plane-sur-des-dizaines-dagressions-au-ghb-a-lausanne.html
Qui est déjà présent avec le viol, si le violeur ne porte pas de préservatif.
https://www.france24.com/fr/europe/20211112-violences-sexuelles-%C3%A0-bruxelles-les-femmes-appel%C3%A9es-%C3%A0-boycotter-les-bars-et-clubs
https://news.konbini.com/gender/etudiantes-droguees-a-leur-insu-mouvement-de-boycott-des-bars-et-clubs-au-royaume-uni/