Pendant la promo de mon livre No Bra, il m’est arrivé à plusieurs reprises que des journalistes me demandent “est-ce que ça vous va si je dis que vous êtes féministe pour vous présenter ? Vous assumez le mot ?”. Mais oui, pourquoi je ne l’assumerais pas ? Et puis il y a quelques temps, une journaliste m’a posé une question qui m’a interpellée. “Est-ce que vous précisez que vous êtes féministe quand vous rencontrez un nouveau partenaire1 potentiel ?”.
Elle a mis le doigt sur une problématique qui s’est posée à moi dernièrement. Parce que oui, dans mon métier, je l’assume à 100%. Je le revendique. Je vais pas dire que c’est mon fond de commerce parce que ce sont des valeurs profondes, mais vous voyez l’idée. Alors oui, je l’assume. Mais dans la sphère privée, c’est différent. En effet, c’est une question que je me suis beaucoup posée depuis que je suis célibataire. J’étais un peu perdue, on va pas se mentir, après 11 ans de relation, tu débarques dans le Tinder Game, t’es pas prête. Je dirais même, dans le single game tout court. Et donc je suis passée par bien des phases, dont la fameuse “plus personne ne voudra jamais de moi”. Et j’ai eu peur, j’ai eu peur de faire peur. Parce que je sais ce que le mot “féministe” renvoie. Pour les mauvaises raisons. Je sais à quel point il terrifie, ce mot.
Sauf que moi, comme je vous le disais, le féminisme, c’est mon métier. Alors c’est un peu compliqué, quand t’as écrit un bouquin sur le No Bra, de le cacher. C’est définitivement très difficile de le cacher, quand tu bouffes, respires, dors féminisme.
Alors je savais plus bien quoi faire. J’ai été tiraillée pendant quelques temps.
Parce que d’un côté, c’est ce que je suis, féministe. Profondément. Mais pas que. Je suis aussi végane (oui je sais, je cumule les tares2 !). Passionnée de séries. Je suis une fêtarde. Adepte de la bière et de la bonne bouffe (oui oui, même en tant que végane). Je suis une amie. Une soeur. Une tante. Une marraine. Je suis bien des choses. Et je ne précise pas tout ça sur mon profil Tinder. Je ne précise pas tout ça à chaque fois ou d’emblée, quand je rencontre quelqu’un. Qui que ce soit.
Alors si ça vient dans la conversation, ça vient dans la conversation. Ça arrive très rapidement, on va pas se mentir. En tant que femme en couple, c’était assez facile, il n’y avait aucun enjeu. En tant que célibataire, c’est différent. Mais j’ai assez vite compris, à quoi bon fréquenter quelqu’un qui ne vous accepterait pas comme vous êtes ? Aujourd’hui je n’ai plus peur de faire peur. Aujourd’hui je m’en fiche. Qu’on m’accepte comme je suis ou qu’on ne m’accepte pas. Je me suis (ré)approprié mon identité de célibataire.
Ce qui me fait peur, c’est plutôt que mon sujet soit mal interprété. Je m’explique : j’ai écrit un livre sur le No Bra. Je publie des photos de moi dans lesquelles, en effet, on peut me voir à demi nue. Alors oui, quand on me demande mon compte Instagram, j’hésite à le donner. Je ne sais jamais comment ça va être interprété. Et les mecs lourds peuvent très vite pointer le bout de leur nez. Et j’ai envie, j’ai besoin de m’en protéger. Comme cette fois où avec une amie, on s’est retrouvées à un meetup à Barcelone, dans lequel on avait l’impression d’être des morceaux de viande. Et les mecs tous en chien. J’ai bien senti que je devais me protéger, me mettre en sécurité. Il était inenvisageable pour moi à ce moment là, de dire que mon sujet de prédilection, c’était le No Bra. Je savais que ça allait être interprété de la pire façon qui soit. Comme ça m’est déjà arrivé de nombreuses fois.
Aussi, parfois, je suis fatiguée de cette casquette de féministe, j’ai envie de la ranger un peu. Je n’aime pas qu’on me réduise qu’à ça. Bien sûr que je le suis profondément et ça définit beaucoup de choses chez moi, mais pas tout. Et puis quand vous dîtes que vous êtes féministe, bien souvent on vient vous faire chier. Vous devez rendre des comptes, vous devez vous justifier. Et parfois, j’ai tout simplement pas envie. Le féminisme prend énormément de place dans ma vie, parfois c’est trop. Parfois je suis fatiguée. Parce que le féminisme, c’est dur, c’est se battre contre une violence inouïe. Et je ne peux pas me battre en permanence. J’ai besoin de légèreté. J’ai besoin de calme. J’ai besoin de mettre tout ça sur pause. J’ai besoin de pas avoir besoin d’expliquer pourquoi le féminisme c’est pas contre les hommes. J’ai besoin de pas avoir besoin de rappeler les chiffres alarmants des viols et agressions sexuelles. J’ai besoin de pas avoir besoin d’expliquer pourquoi une victime n’a rien cherché ou mérité. Alors je fais ce que je sais faire de mieux : je pratique le déni. Ça fonctionne bien, vous devriez essayer ! Je ferme les yeux sur ce que je vois et mes oreilles sur ce que j’entends, pour pas partir dans des débats houleux toutes les 5 minutes et péter un câble. L’épuisement militant3 ça vous dit quelque chose ? Il faut qu’on s’en préserve. Notre société est si éloignée de nos idéaux, on est sans cesse ramené·e·s et confronté·e·s à sa violence, c’est permanent. Et c’est très dur.
Alors voilà, ma casquette de féministe, je la range parfois, parce que le militantisme est épuisant, et par moments j’ai envie d’être autre chose, j’ai envie d’être simplement une amie. Simplement bien bouffer. Simplement faire la fête. Simplement passer du temps avec les personnes que j’aime. Sans forcément toujours devoir débattre de tout ce qui tourne mal dans notre société.
Prenez soin de vous ❤️
Par partenaire, j’entends ici un mec avec qui je pourrais avoir une relation quelle qu’elle soit, mais pas amicale.
Ceci est du 2nd degré, au cas où.
Ou burn-out militant, c’est un état de fatigue, de découragement, qui peut mener à la dépression et qui est très présent dans les milieux militants / activistes.
Merci 🖤