#16 Travail, femmes et argent, un combo pas si gagnant
Temps partiel subi, difficulté d'accès à des postes qualifiés, pénalité de maternité, effet de double-contrainte ... Avec Sarah de PowHER Ta Carrière.
On répète depuis des années que les femmes gagnent moins, en termes de salaire, que les hommes. Pourtant dans l’imaginaire collectif, on a la sensation que ce n’est plus d’actualité, que c’est quelque chose qu’on a dépassé depuis longtemps. La réalité est bien différente puisque d’après Le Laboratoire des Inégalités, “en moyenne, les femmes gagnent 22 % de moins que les hommes. À temps de travail équivalent, elles touchent 15 % de moins que les hommes1.”
La raison la plus souvent invoquée ? Les femmes ne sauraient pas ou n’oseraient pas négocier leur salaire. C’est en fait bien plus complexe que cela. On va faire le tour de la question avec Sarah, coach carrière féministe et fondatrice de PowHER Ta Carrière.
La responsabilité des inégalités salariales n’est pas individuelle
La responsabilité des inégalités salariales n’est pas individuelle. Ce n’est pas parce que les femmes n’osent pas négocier leurs salaires que l’entièreté de la population féminine est impactée par l’écart salarial. Les femmes subissent de nombreuses injustices sexistes qui influent directement sur le montant atterrissant chaque mois sur leur compte en banque, comme la différence de traitement quant à l’accès à des postes qualifiés (il est plus difficile pour une femme d’accéder à un poste de manager par exemple) ou les temps partiels subis2. La pénalité maternelle3 fait rage, quand on devient mère, on perd entre 20% et 40% de salaire4. Les raisons qui expliquent l’écart salarial sont nombreuses et ne sont donc pas liées au fait que les femmes ne négocient pas leur salaire.
Une indépendance financière très récente pour les femmes
L’indépendance financière des femmes est très récente au regard de l’Histoire. Une femme a le droit d’avoir un compte en banque sans demander la permission à son mari depuis 1965. Ainsi, presque toutes les femmes ont des mères ou des grands-mères qui ont connu cette période. L’éducation financière des femmes étant aussi récente, cela ne joue pas en leur faveur pour prendre les meilleures décisions financières les concernant. Notons aussi que la société perçoit toujours les femmes comme étant “le deuxième salaire”. On estime alors qu’il n’est pas primordial ou important qu’elles aient accès à cette éducation financière. Le salaire des femmes n’est pas perçu comme étant vital et comme étant celui qui nourrit la famille, cette idée est toujours profondément ancrée et malheureusement très pénalisante pour ces dernières. Quand on sait que dans l’essentiel des familles monoparentales, c’est une femme que l’on trouve comme parent5, c’est en réalité le seul salaire sur lequel la famille va compter.
Des prédispositions à la négociation
Il existe des prédispositions à la négociation, comme le fait d’avoir grandi dans un environnement où l’argent n’était pas un problème. Quand on a eu de l’argent dans sa vie, on a bien souvent aussi eu l’éducation financière qui allait avec. Le fait d’être un homme est aussi un énorme privilège en termes de négociation, notamment du fait de l’effet de double contrainte, à savoir que lorsqu’une femme négocie, ce n’est pas bien perçu. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faire. Mais il faut bien avoir en tête qu’entre une femme ou un homme, la négociation n’est pas perçue de la même façon. Négocier, en tant que femme et qui plus est en tant que femme noire, sera toujours perçu de façon moins positive. Et notamment, il y a un certain nombre de techniques de négociation qui seront toujours perçues comme étant agressives de la part d’une femme, alors qu’elles seront perçues de manière assertive de la part d’un homme. Il y a un énorme double-standard à ce niveau là.
Se sentir légitime à négocier
Chez les femmes il y a un souci du soin d’autrui, ainsi parler de soi, mettre en avant ses accomplissements, se battre pour soi-même, c’est quelque chose d’assez étranger à la sociabilisation des femmes. On se bat pour ses enfants, pour son mari, mais pour soi-même, c’est un peu compliqué. Se mettre en avant, dire que ce que l’on fait ou accomplit est extraordinaire, c’est très difficile. Beaucoup de femmes souffrent aussi d’un sentiment d’illégitimité, alors que la part de confiance est très importante dans la négociation. Le cerveau des femmes n’est pas moins capable de négocier, il y a des femmes qui sont de très grandes négociatrices au FBI dans les prises d’otages. Ça ne veut pas dire que les femmes sont nulles à la négo, mais elles ne sont pas sociabilisées à la négo. C’est de l’acquis. La bonne nouvelle, c’est que ça s’apprend.
Les avantages à la négociation de salaire
Si la négociation de salaire n’est pas la seule raison pour laquelle les femmes ont un salaire moins élevé que les hommes, il s’agit bien d’un des leviers, d’un point de vue individuel, les plus immédiats pour augmenter ses revenus. Sarah de PowHER Ta Carrière nous explique pourquoi il est important si ce n’est essentiel, selon elle, de négocier son salaire ou ses prestations en tant qu’indépendante malgré l’effet de double contrainte :
Si tu négocies : tu gagnes plus d’argent. Si tu gagnes plus d’argent : ça te sécurise financièrement. Assurer son indépendance financière, pour une femme, c’est d’autant plus vital parce qu’on sait que dans les violences conjugales, il y a une grosse dimension de violence économique. On sait que beaucoup de femmes ne quittent pas leur conjoint violent parce qu’elles n’en ont pas les moyens.
L’argent c’est le pouvoir : le pouvoir de partir, le pouvoir d’influer sur sa vie, le pouvoir de changer des éléments constitutifs de sa vie … Le pouvoir de choisir. Quand on n’a pas d’argent, il y a plein de choses qu’on ne peut plus choisir de faire ou de ne pas faire, ça devient impossible, on est limité·e dans sa liberté.
Les salarié·e·s en entreprises qui sont les moins bien payé·e·s, sont aussi les personnes qui sont moins les moins bien considérées et les moins bien valorisées. Des études en neuroéconomie ont montré que l’on accorde de la valeur à quelqu’un ou à quelque chose quand on a payé pour ce quelqu’un ou ce quelque chose. Par exemple, on ne percevra pas et ne traitera pas de la même façon un pull acheté 3€ dans une marque de fast-fashion et un même pull d’une marque de luxe acheté 200€. Le prix que l’on met dedans a une influence sur la façon dont on va y prêter plus ou moins attention. C’est la même chose en entreprises pour les salarié·e·s Pendant qu’on se dit qu’on ne va pas tenter de négocier ses tarifs ou son salaire pour ne pas passer pour “une chieuse”, en fait on est perçues pour moins que ce qu’on vaut parce qu’on est payées pour moins que ce qu’on apporte.
Changer sa façon de percevoir le monde du travail
Revoir sa façon de percevoir le marché du travail
Pour toutes les raisons citées ci-dessus, et aussi à cause du syndrome de l’imposteur, les femmes n’osent pas négocier leur salaire. Pourtant, tant qu’on se dit qu’on nous a fait une faveur en nous donnant du travail, on est presque en train de s’excuser de toucher un salaire. Changer son état d’esprit, sa vision du travail, c’est alors un socle, une base essentielle sur laquelle travailler pour comprendre enfin quelle est sa valeur, qu’on en a une, et qu’on va tout faire pour la respecter.
Faire la liste de ses accomplissements
Pour travailler sa confiance et se rendre compte qu’on n’est pas là par hasard. On n’a pas vu du lait et des cookies et on est entrées, et les mecs n’ont pas fait plouf plouf pendant les entretiens. D’autant plus quand on sait que maintenant, il faut passer 4 entretiens, 10 tests de personnalité et 14 quiz pour obtenir un job. Et puis cette liste des accomplissements sera très utile pendant la phase de négociation.
Connaître sa valeur sur le marché
C’est important, pour ne pas laisser ces sentiments d’illégitimité prendre le dessus. Ici, il n’est plus question de savoir si c’est justifié ou non d’être payé·e tant ou tant. Le travail, dans la société capitaliste et néolibérale dans laquelle on baigne, fonctionne comme un marché. Ainsi, il faut savoir quelle valeur ses compétences et le poste qu’on occupe ou que l’on va occuper ont sur le marché. Pour les entrepreneurs c’est pareil, il faut savoir, par exemple, à combien se vend un site de telle qualité. C’est presque indépendant de sa volonté, il faut savoir combien ça vaut et quand on sait combien ça vaut, on se place sur le marché. Il n’y a pas spécialement de raison de se placer en dessous, parce que si on le fait, on n’est pas perçue comme faisant une faveur aux gens mais plutôt comme étant moins compétente que ceux qui se placent à la valeur du marché.
Vous pouvez suivre Sarah sur son compte Instagram PowHER Ta Carrière ou découvrir ses coachings.
Selon les données 2019 de l’Insee.
Ou pénalité de maternité.